Je suis en train de lire « la révolution de l’amour » de Luc Ferry. Il y présente, entre autre, l’évolution de la société de l’antiquité à nos jours en s’appuyant sur un exemple très concret : « Pourquoi des parents veulent que leur enfant apprenne à jouer du violon ? » (pp. 290-294 dans la collection j’ai lu). Cette question permet de soulever les motivations que l’on peut avoir pour apprendre. Il présente trois grandes approches qui correspondent à trois motivations très différentes. Cette analyse m’a beaucoup intéressé et me semble très pertinente pour analyser la position de l’école dans la société.
1 – L’approche aristocratique
On apprend à jouer du violon pour être le meilleur, devenir concertiste. C’est une approche très élitiste de l’enseignement qui s’inscrit dans une dynamique de compétition, basée sur les talents et où « la vertu se définit d’abord et avant tout en terme d’excellence ». On peut critiquer l’approche mais elle existe et elle convient à certaines personnes. Les grandes écoles avec leurs concours et classes préparatoires me semblent les exemples les plus significatifs de cette approche dans notre système éducatif.
2 – L’approche républicaine
On apprend à jouer du violon parce que c’est formateur. « Ce qui compte ici, c’est la culture au sens le plus fort […], la formation de soi par le travail qui vous transforme et vous façonne, qui vous humanise et vous conduit à être, au final, autre que vous n’étiez au départ… [Ce travail] s’inscrit aussi dans un cadre social, plus ou moins collectif où l’enfant fera des rencontres qui peuvent l’enrichir par la suite. » On retrouve bien l’école actuelle avec ses devoirs, ses progressions et son rôle socialisant.
3 – L’approche ‘authentique’
On apprend à jouer du violon pour se faire plaisir, s’épanouir, se réaliser, s’éclater … Le violon est une proposition et l’enfant peut choisir de ‘mordre’ ou pas. D’emblée, la porte du renoncement est ouverte. L’enfant est libre de s’investir, rien ne lui est imposé par ses parents. L’école ne s’inscrit pas dans cette vision, mais certains élèves ou étudiants sont complètement dans ce schéma …
4 – Discussion
En tant qu’enseignant, on est de plus en plus confronté à ces jeunes qui viennent en ‘consommateur’, démotivés, qui se complaisent dans l’approche authentique. Faut-il pour autant que l’école sorte de son approche de l’effort et du mérite qui fonde la construction de la personne sur le travail ? Je ne crois pas. Par contre, il y a un gros travail à faire pour aider les jeunes à prendre conscience que l’on peut se faire plaisir en travaillant, que cela peut apporter un certain épanouissement. Nous devons alors travailler dans deux directions :
- Motiver les jeunes à s’impliquer dans leur formation. Plusieurs modèles de motivation existent, Rolland Viau en propose un qui me semble assez clair et fonctionnel.
- Les aider à percevoir qu’ils progressent, s’épanouissent et prennent du plaisir. Cela se rapproche de l’auto-éfficacité de Bandura (qui correspond à la conscience de sa compétence).
Ces deux points sont étroitement liés puisqu’ils se nourrissent et se répondent mutuellement. Encore faut-il que l’enseignant les intègre à sa pédagogie (voir Collaboration et analyse réflexive : des sources de motivation).
Si les élèves ne travaillent plus autant, qu’ils ne sont pas motivés, ils n’en sont pas forcément complètement responsables. La société que nous leur construisons va dans ce sens et nous y vivons très bien. Les enseignants doivent donc relever ce passionnant défi : partager le plaisir d’apprendre.
Beau programme !
Crédit photo : CC BY Pablo Sanchez, Fray Luis de León’s classroom in Salamanca university (XIII century) http://www.flickr.com/photos/pablosanchez/1016242147/lightbox/
30 novembre 2014 à 6:11
[…] à prendre en compte dans une formation est l’évolution du public. J’avais présenté différentes motivations possibles pour apprendre (visant l’élitisme, l’intérêt structurant ou l’épanouissement personnel). […]