Révéler ce qui est tacite pour développer le pouvoir d’agir

J’ai eu l’occasion de visionner quelques interventions de Laurent Bibard, enseignant de gestion et de philosophie et titulaire de la chaire Edgar Morin de la complexité de l’ESCP. Sa vision de la dualité entre complexité et simplicité me semble très éclairante pour comprendre des situations auxquelles nous sommes confrontées au quotidien et inspirante dans une démarche de développement professionnel.

1 – Les concepts de complexité et simplicité

Plusieurs vidéos de conférences de Laurent Bibard sont accessibles sur Youtube, celle-ci est dense et donne les éléments essentiels (7’41”)

L. Bibard définit la complexité comme coexistence de 4 éléments et en déduit une présentation de la simplicité par effet miroir. Le tableau ci-dessous synthétise les grandes idées présentées

Complexité Simplicité
Incertitude
Contradiction
Émergence
Vigilance collective
Sous contrôle
Cohérence
Visible
Leader qui sait pour les autres

Il s’avère que le monde est complexe et cette complexité nous entoure au quotidien. Cependant, nous sommes constamment attiré par un désir et une nécessité de simplicité. Et c’est dans cette tension (à la fois personnelle et collective) entre complexité ambiante et désir de simplicité que réside le nœud de la difficulté constante. Il assimile cette tension simplicité/complexité à la dualité entre les deux logiques de court terme (simplicité) et long terme (complexité) en précisant qu’alors, le long terme peut s’envisager sur des durées très courtes.

2 – Des pistes pour vivre cette tension

Nous oscillons en continu entre des routines que nous maîtrisons (simplicité) et l’incertitude du quotidien (complexité). La solution proposée par L. Bibard consiste à gérer l’incertitude en s’appuyant sur ce que l’on sait déjà faire. On rentre alors dans une démarche d’improvisation, au sens noble du terme, comparable à un travail d’artiste qui s’appuie sur sa technique éprouvée et intégrée pour créer quelque chose de nouveau. Cette démarche d’improvisation ne peut s’envisager que si l’on a conscience de ce que l’on maîtrise effectivement et nécessite donc de révéler (au sens de dévoiler) toutes les aptitudes et compétences intégrées dont nous n’avons plus forcément conscience.

Cette conscientisation de l’ensemble de nos capacités nous permet d’oser affronter des situations que nous ne maîtrisons pas totalement et de nous frotter à cette incertitude. C’est alors que des apprentissages peuvent se développer !

La représentation graphique ci-dessous présente les grandes lignes de cette approche.

3 – Révéler et reconnaître

Il apparaît que l’initiation de la démarche de développement professionnel repose sur la révélation (au sens de rendre visible) et la reconnaissance des aptitudes et compétences de chacun. L’étude réalisée par Aaron Aruck Digital Credentialing for Professional Development Organizations, Benefits, Insights and Recommandations réalisée auprès de responsables de développement professionnel dans différentes institutions et utilisant la plateforme d’openbadges Badge List met en relief deux points intéressants :

  1. L’usage des openbadges est efficace pour aider les personnes à répertorier leurs réussites et à les mettre en perspective dans une logique d’apprentissage toute la vie durant. L’étude précise que la démarche est d’autant plus efficace que les participants peuvent choisir les éléments de preuve qu’ils intègrent au badge.
  2. Les openbadges sont aussi pertinents pour présenter son parcours professionnel, ses apprentissages et les compétences maîtrisées.

Conclusion

Ces éléments tendent à penser que les openbadges peuvent être efficaces pour initier une démarche de développement professionnel en révélant les réussites et compétences de chacun. Cette étape est essentielle pour libérer les énergies et mieux faire face à l’incertitude, aussi bien individuellement que collectivement.

Cette approche ouvre aussi la possibilité d’une ‘éthique de l’essai’, bien en phase avec une obligation de moyen, où l’on n’est pas sûr de réussir, mais on essaie quand même !

 

Sens du travail et apprentissages

Le phare : un guide qui donne confiance

Nous avons déjà abordé dans ce blog le point de vue d’André Compte-Sponville sur le sens du travail et voici une nouvelle étape dans cette réflexion. En effet, j’ai récemment été interpelé par un article qui rapporte les réflexions de Pierre d’Elbée sur le travail et le sens qu’on lui donne. Je vous les partage et vous invite à réagir pour que l’on avance ensemble sur ces questions …

1 – Le point de vue du Philosophe

Pierre d’Elbée présente sa réflexion sur le travail inspiré autour de 7 mots qui sont rapportés ci-dessous avec des citations de l’article d’origine qui m’ont éclairées mais qui résument sans doute de façon minimaliste la pensée de l’auteur.

  1. Réussir : « pouvoir, à travers son travail, faire quelque chose qui parle au fond de soi » en s’appuyant sur la sagesse et le don.
  2. Objectifs : « Il faut réfléchir sur la finalité, sur ce qui nous anime, car nous sommes parfois trop portés sur les objectifs. »
  3. Acteur : Nous sommes beaucoup plus « réactifs » que réellement « actifs » et il est essentiel de prendre du recul avec un « souci de soi » pour éviter de se perdre.
  4. Confiance : qui résulte d’un doux mélange de bienveillance, de confiance et de capacité à s’opposer.
  5. Sérendipité : qui est la capacité à exploiter de façon positive des circonstances inattendues et défavorables.
  6. Motivation : Le manager doit permettre à ses collaborateurs de trouver un sens à ce qu’ils font, plutôt que de la motivation.
  7. Méditer : « nous avons besoin de cette méditation, car nous sommes saturés de volontarisme, de rationalisme, de quête de résultats, et c’est desséchant. A l’inverse, le remède se trouve dans le fait de prendre du temps pour être bien avec soi. »

2 – Le point de vue du pédagogue

Cette liste de 7 mots peut interpeler le pédagogue par la proximité qu’il peut trouver avec son champ lexical habituel. On retrouve ainsi les questions de motivation et de sens, chères à Rolland Viau et ses critères pour engager les étudiants dans les apprentissages. De même, la notion d’apprenant acteur de ses apprentissages est courante, Philippe Carré propose même de la prolonger en positionnant  l’apprenant auteur de ses apprentissages dans une logiques d’apprentissages tout au long (et tout au large) de la vie.

On peut aussi mettre la confiance en parallèle du statut de l’erreur : L’erreur est normale et fait partie intégrante du processus d’apprentissage,comme le dit Jean-Pierre Astolfi.

La notion d’objectifs est très présente en pédagogie et John Biggs propose d’aligner les objectifs, les activités proposées et l’évaluation des apprentissages. Cette cohérence est nécessaire pour engager les élèves ou étudiants dans le processus d’apprentissage comme le présente Marcel Lebrun dans son blog (on retrouve la question de sens et de motivation) …

Je n’ai pas de pendant direct à ‘méditer‘, même si j’aurais tendance à lui associer l’analyse réflexive. Cette association est sûrement limitative par rapport à l’étendue possible de la méditation mais dans un contexte d’apprentissage, cette relecture à postériori permet de faire le point sur le parcours réalisé et de prévoir des ajustements comme dans l’apprentissage expérientiel de David Kolb.

Enfin la réussite est étroitement liée à l’évaluation des apprentissages avec deux questions qui se posent :

  • Qu’évalue-t-on ? la production ? le processus ? les apprentissages réalisés ?
  • Qui est l’évaluateur ? moi ? les autres ? l’enseignant ? un jury ‘anonyme’ ? …

Le dernier mot, sérendipité, fait écho à l’apprenance, concept proposé par Philippe Carré, qu’il définit ainsi : « ensemble durable de dispositions… … favorables à l’acte d’apprendre… dans toutes les situations : formelles ou informelles, de façon expérientielle ou didactique, autodirigée ou non, intentionnelle ou fortuite ».

Il me semble que la majorité de ces notions se retrouvent dans cette vidéo réalisée il y a quelques années mais qui me paraît toujours d’actualité.

3 – Discussion

mandelaCette proximité entre le sens que l’on trouve dans son travail et les attitudes et processus liés aux apprentissages m’interpelle. Est-ce qu’apprendre est une activité professionnelle comme une autre ? Il serait alors intéressant de voir comment si ce schéma se retrouve dans d’autres activités professionnelles et comment il se traduit. De même, un travail est-il épanouissant parce qu’il est source d’apprentissages ? Et alors, est-il pertinent d’activer ce levier et comment faire ?

Nelson Mandela nous a peut-être donné un élément de réponse quand il a dit : « Je ne perds jamais ; soit je gagne, soit j’apprends. »

Qu’en pensez-vous ? Partagez-nous votre point de vue, les commentaires vous sont largement ouverts !

Crédit photo : CC0 Phare & CC0 Nelson Mandela

Des réflexions sur les openbadges

L’open badge est un ‘objet’ à la mode pour reconnaître les compétences informelles. Pour pertinent que peut être cet outil, il serait dommage de ne le voir que comme un bon-point augmenté par la technologie ou comme micro-crédit capitalisable. Il offre la possibilité de passer d’un système déclaratif difficilement vérifiable (le CV) à un autre basé sur la reconnaissance mais ça n’est pas tout. Je vous propose quelques éléments de réflexion à ce sujet …

1 – Compétences informelles, de quoi parle-t-on ?

Pour aborder ce sujet, je vous propose de faire un détour en m’appuyant sur un article de Marc Nagels, La qualité ouverte et dynamique, une opportunité d’apprendre. Il y présente deux approches de la qualité : l’une correspond à la conformité à une norme alors que l’autre s’organise autour d’une démarche d’amélioration continue. Il me semble que cette dualité peut aussi se retrouver dans l’approche des compétences, particulièrement lorsque l’on parle des compétences informelles. On peut voir ces compétences par rapport à une norme, un référentiel, ou dans une démarche d’évolution et d’amélioration continue en s’appuyant sur des expériences variées qui peuvent être des lectures, des échanges, des réalisations, des analyses ou des réflexions.

Cette approche propose ainsi deux perspectives : l’une basée sur ce qui a été validé par le passé, l’autre sur la projection vers l’avenir et le pouvoir d’agir sur son développement personnel et professionnel.

2 – Un point sur la reconnaissance

Jean-Michel Cornu présente dans une courte vidéo les mécanismes de la reconnaissance en comparant ce qu’il nomme l’estime, accordée par le groupe et le prestige, donné par la hiérarchie ou l’institution.

Le tableau ci-dessous récapitule les éléments clivants.

Estime Prestige
Qui l’accorde ? les pairs ou le groupe la hiérarchie ou l’institution
Quelle évolutivité ? évolutif figé
Quel risque d’erreur ? faible fort

Ainsi, si les ‘agents reconnaissants’ sont en nombre limités dans une logique de prestige, ils sont illimités dans une logique d’estime et chacun peut alors être agent reconnaissant et agent reconnu. Les open badges intègrent cette dualité avec le mécanisme d’endossement qui permet l’émission personnelle d’open badges et la reconnaissance par des tiers (pairs, clients, employeurs, …) à postériori, qui approuvent/attestent/valident la compétence ou le projet.

3 – Que peut-on en tirer pour les open badges ?

Ces deux approches offrent des points de vues complémentaires et rejoignent le travail de Serge Ravet qui, dans son article réflexions sur le genèse des Open Badges, propose un plan de la reconnaissance, découpé en 4 quadrants à partir de 2 axes : la forme de la reconnaissance (qui rejoint la dualité estime/prestige)  et de sa modalité (qui rejoint l’approche norme/potentiel)

Chacun des quadrants étant défini comme suit (extrait de l’article cité ci-dessus) :

  • Normatif : l’institution veille à la conformité à la norme (référentiel, curriculum, etc.). Le badge est une accréditation dématérialisée fondée sur des événements passés (supplément au certificat/diplôme).
  • Inclusif : la communauté veille à l’inclusion de ses membres. Le badge est une indication d’appartenance et de participation / contribution à un groupe plus large.
  • Instrumental : les badges émis par l’institution équipent la personne avec des objets dynamiques, à la manière des Tamagotchis qu’il faut nourrir pour qu’ils restent vivants. L’information contenue dans le badge n’est pas tant une description de ce que la personne a fait avant (à destination d’une tierce partie) mais de ce qu’elle peut faire après l’avoir obtenu : participer à certains projets, accéder à de nouveaux parcours d’apprentissage, rendre service à la communauté, etc.
  • Pouvoir d’agir : dans ce quadrant, la personne est l’agent à l’origine de sa reconnaissance et de celle des autres. Elle a le pouvoir de créer ses propres badges (individuels et collectifs) et de rechercher des endossements de tiers au sein de sa communauté et au-delà.

On retrouve bien notre bon-point augmenté dans le quadrant normatif mais il est complété par d’autres facettes des open badges qui sont très riches grâce aux mécanismes d’appartenance, de soutien de la motivation intrinsèque et de développement du pouvoir d’agir, pour ne citer qu’eux.

Ainsi, s’engager dans un projet d’open badges permet d’envisager le développement personnel et professionnel des acteurs avec une approche centrée sur la reconnaissance, décalée de ce qui se vit au quotidien dans nos structures. Que penser de badges comme “bien dans mon travail”, “tu m’as appris …”, “dans un an, j’aimerais être/faire …” ou “le dossier qui me plaît” ? Ils peuvent être farfelus mais aussi apporter une dynamique dans une équipe et soutenir l’engagement dans la durée de collaborateurs sans attester directement de compétences : tout dépend de la façon dont ils sont vécus, utilisés et exploités dans chaque structure. Tout l’enjeu est de faire prendre conscience de cette opportunité à l’ensemble des acteurs concernés par ce sujet.

Et vous, quel badge vous ferait avancer ?

Adaptive learning : présentation et enjeux

L’article de Philip Kerr (en anglais) présente un panorama complet de l’adaptive learning (apprentissage adaptatif) en partant des mécanismes mis en œuvre pour aller jusqu’aux enjeux sur l’éducation. Voici ma synthèse de cette ressource pertinente.

1 – Présentation de l’apprentissage adaptatif

Vous pouvez accéder en cliquant sur la carte ci-dessous à une synthèse de la partie ‘présentation’ de l’article qui regroupe les différents éléments présentés selon trois modèles : le modèle pédagogique, le modèle économique et le modèle de données construit et exploité.

adaptive learning

adaptive learning

Cette approche de l’enseignement induit quelques réflexions critiques, présentées dans l’article et que je partage.

2 – Le modèle est dicté par le marché

Ça n’est pas nouveau, c’était déjà recherché avec les MOOC, mais cela devient de plus en plus clair. On est loin de la philanthropie angélique prônée par les évangélistes des MOOC. L’idée est clairement de proposer un outil économique pour faire apprendre les étudiants. La solution proposée est considérée comme le meilleur compromis coût-accès-qualité.

On peut voir que des financeurs de premier rang soutiennent cette démarche (OMC, OCDE, fondation B&M Gates, etc…). Ces subventions, sans doute conséquentes, permettent de limiter l’impact de la R&D sur le coût global du produit et d’accélérer sa rentabilité.

3 – L’individualisation des parcours

L’apprentissage adaptatif peut effectivement être pertinent pour résoudre partiellement des problèmes d’hétérogénéité des classes. Cependant, ça n’est pas la seule solution. Anne Sliwka propose une autre vision dans son article From homogeneity to diversity in German education qui se résume dans le schéma ci-dessous :

homogénéité-hétérogénéité-diversitéJ’apprécie particulièrement cette approche, plus exigeante pour l’enseignant, mais qui ne vise plus une individualisation mais une personnalisation du parcours (cf. l’individu, la personne et le MOOC).

4 – L’enseignant est tenu d’évoluer

On le disait déjà avec les MOOC (et même avant), on le redit encore ici… Mais cela semble de plus en plus inévitable. L’apprentissage adaptatif est sûrement un bon outil pour tout ce qui tient de la mémorisation de savoirs et de ‘gestes élémentaires’ (par exemple pour la prise en main de logiciels). Mais si tout le contenu est ainsi proposé en ligne, le cours en face à face doit évoluer pour être un espace de manipulation, d’intégration et de développement de compétences.

Marcel Lebrun ne disait pas autre chose en 2009 : si l’enseignant a peur de disparaître face au numérique, il a sans doute raison … s’il n’apporte pas une plus-value significative de questionnement, de validation, de sens (à la fois orientation et signification) pour les étudiants.

Cette évolution nécessaire doit être intégrée rapidement pour accompagner et former les enseignants à ces démarches et éviter qu’ils ne soient déqualifiés. Ce travail a aussi un coût qu’il va falloir prendre en compte (et pour l’instant, les financeurs de la R&D cités ci-dessus ne se sont pas positionnés pour cette dépense).

5 – Quel modèle d’enseignement-apprentissage voulons-nous ?

L’apprentissage adaptatif propose l’accumulation d’un savoir atomisé et vise une tête bien pleine. Cette approche ne semble pas suffisante. L’enseignement doit surtout développer des compétences de haut niveau : apprendre à apprendre, esprit critique,  créativité, travail en équipe/collaboration, …

Encore une fois, il ne faut pas croire que la technologie (MOOC, apprentissage adaptatif ou autre) sera LA solution magique a tous les problèmes. Par contre, son usage raisonné dans une démarche construite peut offrir des contextes d’enseignement riches et tout à fait pertinent.

De même, une base de la pédagogie est de proposer des activités variées : ne nous limitons donc pas à la solution ‘buzz’ du moment.

Conclusion en forme de vœux

Il est temps que les acteurs de l’éducation, à tous les niveaux, se réveillent et redéfinissent notre modèle éducatif si l’on ne veut pas subir demain un modèle dicté par le marché globalisé et des groupes étrangers : le français étant une des langues les plus parlées du monde, des éditeurs vont sans doute vite proposer des outils pour la francophonie et donc interférer sur notre modèle éducatif national…

Je vous souhaite donc une belle année 2015, année du réveil pour construire ensemble un modèle éducatif qui ne se limitera pas à l’aspect pédagogique mais intégrera aussi l’aspect économique…

Connectivisme et littératie numérique

Qu’est-ce que le connectivisme ? Quelles sont les particularités d’un MOOC qui se veut connectiviste ? Ce type de dispositif peut sans doute être utilisé pour faire de la médiation numérique, mais cela nécessite d’en clarifier le fonctionnement.

Avant d’aller plus en avant, il est essentiel de comprendre que la spécificité d’un MOOC connectiviste est de privilégier l’implication des participants pour construire le contenu de la formation à une transmission de la connaissance dans une approche descendante, plus  académique.
L’article A Framework for Interaction and Cognitive Engagement in Connectivist Learning Contexts s’appuie sur l’analyse de différents MOOC connectivistes pour en modéliser le fonctionnement. Il en ressort que ces formations proposent 4 niveaux d’interaction spécifiques.

1 – Construire son Espace Personnel d’Apprentissage

Cette étape consiste à prendre ses marques. Cette prise de marques est personnelle, en repérant les outils que l’on utilise régulièrement. Elle est aussi collective en repérant les espaces d’échange en lien avec le cours pour s’y inscrire (forum, réseaux sociaux numériques, …). L’objectif est de prendre en main les outils, de les articuler, de se les approprier et de commencer à les utiliser pour suivre le cours.
Ces espaces d’apprentissage personnels permettront de relier les personnes autour du sujet du cours et de constituer un réseau.
Ce premier niveau permet de développer les compétences opérationnelles liées à l’utilisation des réseaux sociaux numériques et des espaces en ligne. Pour faire simple on pourrait dire que ce niveau consiste à s’outiller.

2 – Accéder à l’information

Les participants sont maintenant équipés pour suivre ce qui se passe dans le cours, tout n’est pas fini pour autant ! Il est temps de travailler sur l’accès à l’information, base de la connaissance. Ainsi, il revient à chacun d’utiliser les outils mis en place dans l’étape précédente pour être efficace. L’objectif est de s’organiser pour pouvoir suivre le cours et les apports des autres participants sans se perdre. Dave Cormier, dans son intervention pour le lancement de ITyPA – premier MOOC connectiviste francophone –, disait qu’il faut ‘éviter la noyade’.
Le maillage entre participants s’opère, on repère les personnes qui proposent des réflexions riches, partagent des ressources pertinentes… C’est le début du connectivisme où l’apprentissage se fait en réseau, en partenariat avec les autres participants.

3 – Participer à la communauté

On est nourrit par les contributions des uns et des autres et petit à petit, cela nous interroge, nous pousse à réfléchir, à opérer des connexions avec des connaissances antérieurs. Place à l’expression de nos propres idées, pensées, points de vue : on s’approprie, on reformule, on négocie, on tâtonne … On devient source d’information pour les autres participants.
Ce niveau correspond à un niveau d’apprentissage plus profond où le participant s’approprie les informations pour les mettre en perspective dans un apprentissage en profondeur.

4 – Co-construire

Ce niveau d’interaction est celui qui nécessite le plus fort engagement cognitif. Le travail collaboratif va permettre de prolonger le travail personnel en augmentant l’ampleur de la réalisation et l’intensité des liens interpersonnels. On gagne sur tous les tableaux ! La co-construction nécessite une négociation et une argumentation permanentes. On est sur un apprentissage très en profondeur.

Discussion
On n’est pas obligé de viser le niveau le plus élevé (et le plus exigent) pour s’inscrire à un MOOC connectiviste. On peut très bien se satisfaire du niveau informatif (niveau 2) parce que l’on n’a ni le besoin ni le temps d’aller plus loin. Comme le cours est ouvert, chaque participant est libre de l’aborder comme il le veut et de grappiller à sa guise. Il me paraît important de présenter ces différents niveaux d’expertise/de maîtrise et de les utiliser pour baliser le cheminement de chacun tout au long du MOOC :

  • au début pour définir ses objectifs,
  • pendant pour évaluer où l’on en est,
  • à la fin pour évaluer le chemin parcouru.

En parallèle, de cette approche, je suis tombé sur les carnets de la médiation numérique et à la lecture de cette page, il me semble que les MOOC peuvent être considérés comme des espaces virtuels, outils de médiation pour développer la littératie numérique numérique.

Afin d’argumenter mon point de vue, je reproduis ci-dessous le schéma qui présente la littératie numérique à trois niveaux : utiliser, comprendre, créer.

La littératie numérique, par Habilo Medias

Et ici, ma vision de la cohérence entre les niveaux d’interaction sur un cMOOC et la littératie numérique.

MOOC et litteratie numérique

MOOC et littératie numérique

Ainsi, on pourrait mettre en parallèle les EPN qui sont des espaces physiques de médiation numérique, proposant une expérience synchrone en face à face et un cMOOC qui est un espace virtuel (en ligne) pour une médiation majoritairement asynchrone. Cette complémentarité s’est déjà concrétisée dans l’accompagnement à ITyPA l’année dernière.

Encore une fois, ces idées sont surtout là pour être partagées, confrontées, débattues … et commentées … n’hésitez pas !

Le cycle des compétences

J’ai été récemment interpelé par un schéma qui circulait sur internet qui se rapproche d’une taxonomie et que je reproduis ci-dessous :

fait - sait faire - sait comment faire - sait original

extrait du bulletin CÉFES (Centre d’études et de formation en enseignement supérieur) de l’Université de Montréal – numéro 6 de mai 2002

Et en fait, si j’aime bien la pyramide de gauche, je suis beaucoup moins sensible à la partie droite sur l’évaluation. J’associe plus facilement cette pyramide aux 4 niveaux de conscience de sa(ses) compétence(s).

1 – de l’incompétence inconsciente à la compétence inconsciente

  1. Au début de l’apprentissage (sous la pyramide), on n’a pas conscience de l’étendue de son ignorance et de son incompétence, c’est l’incompétence inconsciente.
  2. Une fois que l’on a découvert les notions élémentaires et qu’on sait (donc au premier étage), on a conscience de ses limites : c’est l‘incompétence consciente où l’on repère l’étendue de ce qu’il va falloir apprendre.
  3. Après avoir appris comment faire, on espère pouvoir démontrer ce savoir. On est alors compétent conscient : chaque mobilisation de cette compétence nécessite réflexion et concentration spécifique.
  4. Quand on arrive au sommet de la pyramide (on fait), on n’a plus besoin de réfléchir pour faire, on a automatisé nos gestes et démarches : on est compétent inconscient.

2 – La savoir-faire (ou savoir agir) ne suffit pas pour faire

Il me semble que si les trois premiers niveaux (sait, sait comment faire, fait la démonstration) sont liés à l’apprentissage, le dernier niveau (fait) s’inscrit dans le cadre de l’activité professionnelle et peut être considéré comme la résultante de cet apprentissage. Cependant, il me semble essentiel d’avoir à l’esprit, comme le dit Le Boterf, que la compétence et l’action ne résultent pas uniquement du savoir-agir, elles nécessitent aussi un contexte favorable (pouvoir-agir) et une volonté de la part du professionnel (vouloir-agir).

3 – La compétence peut se développer en continu

C’est la base du life long learning ! Toute situation peut être source d’apprentissage. Cela nécessite quand même de prendre du recul pour décortiquer et analyser ce qui s’est passé au cours d’une phase d’analyse réflexive. Mais cette analyse réflexive nécessite, elle aussi, un certain savoir-agir, un pouvoir-agir et un vouloir-agir …

4 – Le cycle des compétences professionnelles

Les trois premiers niveaux de la pyramide présentent l’apprentissage de compétences alors que le sommet correspond à l’utilisation et l’exploitation de celles-ci dans un contexte professionnel. Dans une approche GPEC, il me semble qu’il manque un niveau qui correspondrait au partage de la compétence, à sa transmission, comme le maître transmet au compagnon dans le compagnonnage ou le tuteur au tutoré dans le tutorat. Cette démarche est une possibilité pour conserver les savoirs et savoir-faire ‘métiers’. Dans cette logique, le ‘maître’ sera confronté aux questions du compagnon : Comment fait-on ? Pourquoi fait-on comme cela ? Pourrait-on faire autrement ? Pourquoi ne fait-on pas autrement ? etc …

Y Répondre n’est bien souvent pas évident. L’analyse réflexive de ses pratiques au quotidien peut permettre de décortiquer son activité et d’apporter des éléments de réponse.

De même, cette analyse de pratique devrait pouvoir permettre de définir des éléments de contexte ainsi que les contenus des formations (en termes de compétences et connaissances). Elle est enfin aussi utile en interne pour élever le niveau de compétences générales des personnels :

  • individuellement, l’analyse réflexive permet d’avancer dans sa connaissance et sa compréhension du milieu, du contexte, de mieux percevoir les tenants et aboutissants et de définir ainsi au mieux que faire et comment le faire
  • collectivement, lorsque les réflexions personnelles sont échangées dans une ambiance communautaire, chacun profite alors des apports de la communauté.

On a ainsi les trois temps du cycle des compétences :

  1. l’appropriation : pendant une phase d’apprentissage ou de formation,
  2. l’exploitation : durant la vie professionnelle
  3. la transmission : après une analyse réflexive (personnelle ou accompagnée) qui peut se traduire sous forme de tutorat, de compagnonnage ou d’élaboration (ou d’aide à l’élaboration) de parcours de formations.

et trois schémas possibles pour transmettre cette compétence à partir d’une analyse réflexive :

  1. le tutorat (ou compagnonnage),
  2. l’échange communautaire (ou ‘social learning’),
  3. la construction de formation.

5 – Illustration graphique

Voici un prezi qui reprend ces idées de façon graphique. Apportez votre point de vue, vos critiques : ça fera avancer !

cycle des compétences

Cycle des compétences

Que nous dit la recherche sur l’apprentissage ?

Cet article est issu de la lecture du travail de Jean Heutte « Dix constats clés de la recherche cognitive sur l’apprentissage » qui fait une synthèse du document de Schneider et Stern « Comment apprend-on ? La recherche au service de la pratique ». Ces dix constats se regroupent en 3 familles : qu’est-ce qu’apprendre ? Quelles sont les limites à l’apprentissage ? Comment favoriser l’apprentissage ? Comme souvent, je vous propose une synthèse graphique de cet article avec son commentaire.

10 constats clés de la recherche sur l'apprentissage, à partir du travail de jean Heutte : http://jean.heutte.free.fr/spip.php?article192

10 constats clés de la recherche sur l’apprentissage, à partir du travail de jean Heutte

Le premier constat qui est, à mon avis le plus important à retenir est que l’apprentissage est une activité exercée par l’apprenant. C’est pourquoi il est au centre du schéma et en gras !

L’arc de cercle définit ce qu’est l’apprentissage : il prend en compte les acquis et élabore des structures de connaissances transférables. Ce travail nécessite une explicitation des liens entre les différentes connaissances pour les structurer et les hiérarchiser.  Un tel apprentissage se réalise par l’acquisition équilibrée de concepts, d’habilités et d’une compétence métacognitive (apprentissage DANS l’action et apprentissage PAR l’action).

Malheureusement notre mémoire de travail limite notre capacité d’apprentissage aussi bien par sa capacité que par la durée de rétention des informations. C’est le goulet d’étranglement qui justifie l’exigence de conditions favorables pour que l’apprentissage se réalise !

Les conditions favorables dépendent :

  • Du contexte (organisation temporelle du curriculum, logique de la progression pédagogique, fiches de travail, schémas, …),
  • De la motivation, des émotions et de la cognition,
  • De l’engagement de l’apprenant (effort et temps d’investissement).

Les deux premiers aspects sont de la responsabilité de l’enseignant à travers la scénarisation pédagogique du dispositif et le contenu des activités proposées. Le dernier aspect est du ressort de l’apprenant. Pour ces différents aspects, le travail de Rolland Viau sur la motivation est riche d’enseignement et mérite d’être assimilé.

Il me reste à vous souhaiter plein de courage pour la reprise et une année riche en apprentissages 😉

Qu’est-ce qu’un professionnel compétent ?

Guy Le Boterf propose sa vision sur la question dans un entretien avec Education Permanente. Il définit un professionnel compétent par rapport à la confiance qu’on peut lui accorder. Si vous n’avez pas le temps de lire l’article complet, voici deux citations et une synthèse graphique.

« Un professionnel compétent, à qui l’on peut faire confiance, se reconnaît non pas au fait qu’il possède une liste de compétence mais au fait qu’il sait agir de façon pertinente, responsable et compétente.[…] On peut avoir beaucoup de compétences et n’être pas compétent. »

« Je fais confiance à un professionnel, je le reconnais comme compétent s’il sait prendre des décisions pertinentes dans les situations qu’il doit traiter. »

Professionnel compétent

Professionnel compétent

On y retrouve les trois composantes du modèle de la compétence (savoir agir, vouloir agir et pouvoir agir) ainsi que la capacité d’analyse d’une situation et la prise de décision. Le Boterf précise aussi l’importance d’intégrer d’autres qualités du professionnel :

  • sa capacité à gérer et/ou utiliser ses émotions,
  • son intuition,
  • son éthique,
  • son imagination, sa créativité.

Bonne lecture !

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Université de Salamanque (XIIIè siècle)

Université de Salamanque (XIIIè siècle)

Je suis en train de lire « la révolution de l’amour » de Luc Ferry. Il y présente, entre autre, l’évolution de la société de l’antiquité à nos jours  en s’appuyant sur un exemple très concret : « Pourquoi des parents veulent que leur enfant apprenne à jouer du violon ? » (pp. 290-294 dans la collection j’ai lu). Cette question permet de soulever les motivations que l’on peut avoir pour apprendre. Il présente trois grandes approches qui correspondent à trois motivations très différentes. Cette analyse m’a beaucoup intéressé et me semble très pertinente pour analyser la position de l’école dans la société.

1 – L’approche aristocratique

On apprend à jouer du violon pour être le meilleur, devenir concertiste. C’est une approche très élitiste de l’enseignement qui s’inscrit dans une dynamique de compétition, basée sur les talents et où « la vertu se définit d’abord et avant tout en terme d’excellence ». On peut critiquer l’approche mais elle existe et elle convient à certaines personnes. Les grandes écoles avec leurs concours et classes préparatoires me semblent les exemples les plus significatifs de cette approche dans notre système éducatif.

2 – L’approche républicaine

On apprend à jouer du violon parce que c’est formateur. « Ce qui compte ici, c’est la culture au sens le plus fort […], la formation de soi par le travail qui vous transforme et vous façonne, qui vous humanise et vous conduit à être, au final, autre que vous n’étiez au départ… [Ce travail] s’inscrit aussi dans un cadre social, plus ou moins collectif où l’enfant fera des rencontres qui peuvent l’enrichir par la suite. » On retrouve bien l’école actuelle avec ses devoirs, ses progressions et son rôle socialisant.

3 – L’approche ‘authentique’

On apprend à jouer du violon pour se faire plaisir, s’épanouir, se réaliser, s’éclater … Le violon est une proposition et l’enfant peut choisir de ‘mordre’ ou pas. D’emblée, la porte du renoncement est ouverte. L’enfant est libre de s’investir, rien ne lui est imposé par ses parents. L’école ne s’inscrit pas dans cette vision, mais certains élèves ou étudiants sont complètement dans ce schéma …

4 – Discussion

En tant qu’enseignant, on est de plus en plus confronté à ces jeunes qui viennent en ‘consommateur’, démotivés, qui se complaisent dans l’approche authentique. Faut-il pour autant que l’école sorte de son approche de l’effort et du mérite qui fonde la construction de la personne sur le travail ? Je ne crois pas. Par contre, il y a un gros travail à faire pour aider les jeunes à prendre conscience que l’on peut se faire plaisir en travaillant, que cela peut apporter un certain épanouissement. Nous devons alors travailler dans deux directions :

  • Motiver les jeunes à s’impliquer dans leur formation. Plusieurs modèles de motivation existent, Rolland Viau en propose un qui me semble assez clair et fonctionnel.
  • Les aider à percevoir qu’ils progressent, s’épanouissent et prennent du plaisir. Cela se rapproche de l’auto-éfficacité de Bandura (qui correspond à la conscience de sa compétence).

Ces deux points sont étroitement liés puisqu’ils se nourrissent et se répondent mutuellement. Encore faut-il que l’enseignant les intègre à sa pédagogie (voir Collaboration et analyse réflexive : des sources de motivation).

Si les élèves ne travaillent plus autant, qu’ils ne sont pas motivés, ils n’en sont pas forcément complètement responsables. La société que nous leur construisons va dans ce sens et nous y vivons très bien. Les enseignants doivent donc  relever ce passionnant défi : partager le plaisir d’apprendre.

Beau programme !

Crédit photo : CC BY Pablo Sanchez, Fray Luis de León’s  classroom in Salamanca university (XIII century) http://www.flickr.com/photos/pablosanchez/1016242147/lightbox/

Pour 2013 ? du talent et de l’enthousiasme !

C’est la nouvelle année et donc l’occasion de formuler des vœux :

Je vous souhaite beaucoup de bonheur !

C’est clair, concis, mais comment cela peut-il se concrétiser dans un contexte professionnel ? Pour y répondre, je vais m’appuyer sur trois articles lus ces derniers mois : je vous propose ainsi de vous faire plaisir et de développer vos talents. Vaste programme …

1 – Le travail, le talent et le génie

Le premier article (de Eric Segonds) rapporte une conférence de Jacques Weber (le comédien réalisateur) où il propose une distinction entre génie et talent : le génie est inné alors que le talent est le fruit d’un travail rigoureux. Mais le comédien précise que plus on travaille, plus on libère son(ses) talent(s). Ainsi présenté, le travail apporte une certaine liberté, une ouverture, et ce point de vue me semble intéressant …

2 – Enjoy !

Ce petit enjoy (qui signifie littéralement ‘prends du plaisir’), est remplacé en français par un ‘bon courage’ bien pessimiste. C’est à mon avis très significatif de notre vision quelque peu ‘tristounette’ du monde, et du travail … Nathalie Monsaint-Baudry propose de changer notre point de vue, de décider que la journée sera bonne, de changer de langage en utilisant des formes actives, volontaires et enthousiastes. Pourquoi ne pas en faire une résolution pour cette nouvelle année ?

3 – La reconnaissance

Enfin, je viens de lire un article de Christophe Dejours sur la reconnaissance au travail. Il y dit que la reconnaissance est une rétribution attendue par l’employé en échange de sa contribution. Cette reconnaissance peut prendre trois formes :

  • l’utilité : ce que je fais est utile, que ce soit pour mes supérieurs ou mes subordonnés.
  • le respect des règles de l’art : mon travail est bien fait, il est reconnu par mes pairs.
  • l’originalité : mon travail me rend unique.

Cette reconnaissance est sans doute une bonne part du bonheur qui vient de notre activité professionnelle et je pense qu’elle s’appuie sur notre enthousiasme, nos talents, et donc notre travail …

happy new year 2013 CC BY-SA-NC ell brown

happy new year 2013 CC BY-SA-NC ell brown